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La difficulté d’être soi?

Il y a plusieurs mois, dans une émission radio Isabelle Carré disait ceci, pour la promotion de son film « Délicieux »: « c’est un film qui parle de liberté et du goût : qu’est-ce qu’on est sensé aimé, […] quel diktat on est sensé suivre ? à quel moment on arrive à se libérer de ça et à se dire finalement est-ce que ça je l’aime parce que je l’aime ou parce qu’on m’a dit de l’aimer […] », en voilà une réflexion bien pertinente !

Nous sommes nombreux à savoir combien il est difficile de « s’affirmer », d’affirmer ce que l’on aime ou ce que l’on est. Mais dans ce mot je voudrais que l’on comprenne s’autoriser à être soi, le dire, le montrer en toute sérénité ; se sentir autoriser d’aimer des choses à « contre-courant » ou « hors norme ». Ne pas le faire au détriment des autres, non ! Simplement en s’ajoutant comme une option ou une déclinaison supplémentaire sur une palette de couleurs déjà bien riche, mais qui sera encore plus belle avec une nouvelle nuance. Est-ce une utopie ?


Je vous propose d’interroger cette « difficulté d’être soi », d’où vient-elle ? quel est son impact sur l’estime de soi, sur la confiance en soi ? cela altère-t-il nos capacités ? Cela nous empêche-t-il de donner le meilleur de nous ?


Quelle peut être l’origine de la difficulté ?

Si je commence par rappeler que nous sommes tous des êtres uniques ET singuliers ; vous allez me rire au nez me précisant que je ne vous apprends rien… Et vous auriez raison ! Pourtant s’affirmer et s’assumer unique et singulier peut ne pas être si aisé, et les conséquences sont souvent de ne jamais se sentir à sa place.

Un Processus par étape

Tout au long du chemin qui nous amène à la vie adulte, il y a des étapes : l’enfance d’abord où notre singularité s’affirme dans le bac à sable dans le sens où chaque enfant fera un château à sa façon… il est facile d’être soi car on se sait dans la bulle protectrice et bienveillante de l’amour parental, dans leur regard on est encouragé, valorisé.

En avançant vers l’adolescence, vers le temps des choix (orientations scolaires notamment), on peut se sentir un peu perdu et être tenté de « copier » ses parents ou ses copains. Et plus les parents ont réussi, ont pris une place dans la société et plus l’adolescent va être enclin à copier le modèle… Or si on reprend la logique de l’unicité de chacun, cela veut dire que chacun est différent de ses parents. Ils ont alors un rôle de révélateurs, c’est-à-dire qu’il est important qu’ils nomment et reconnaissent la singularité de l’enfant « tu es différent, mais j’ai confiance en toi, en tes choix quels qu’ils soient et tu appartiendras toujours à la bulle familiale, au clan ». Grâce à cela le jeune en route vers la maturité pourra prendre la place qu’il a envie de prendre. Le faire seul, se sentir autoriser à faire les choix qu’il juge bons pour lui et se débrouiller.

Et c’est tellement bon de savoir de quoi on est capable. Cela nourrit considérablement l’estime de soi et la confiance en soi. Et puis à l’âge adulte, on capitalise sur les choix que l’on a fait plus tôt : les études qui permettent de s’insérer dans le monde de travail ; les expériences et les rencontres qui ouvrent des opportunités que l’on saisit quelque fois ou pas ! Ces choix faits dans la jeunesse, dans une période de construction de soi, sont-ils déterminants ? le chemin choisi, est-il définitif ? Notre environnement conditionne-t-il notre réussite ? Il y a une tendance, un mouvement, une voix dominante qui nous fait croire que oui.


Notre besoin de sociabiliser= un frein à l’affirmation de soi ?

Nous sommes des êtres sociaux ce qui veut dire que le besoin d’appartenance à un groupe, une famille, une communauté nous est vital. Appartenir à un groupe signifie partager des codes et des valeurs communes, une culture, un langage. Dans certaines circonstances on procède à quelques ajustements par peur de l’exclusion. Les neurosciences ont montré que l’exclusion, le rejet social activent dans notre cerveau la même aire que la douleur physique. Alors pour ne pas s’exposer à ce type de douleur, il se peut que l’on adopte les codes de ce groupe en oubliant de se demander s’ils nous correspondent. Je peux vous donner l’exemple de la cour du collège où ceux qui décident de ne pas adopter le code commun vont vite se retrouver en marge… avec les conséquences que cela peut avoir sur l’estime de soi : suis-je digne d’être aimé ? qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

Une fois adulte, ce n’est pas tellement plus facile : on le voit dans les modes de gouvernance des entreprises, dans la façon de penser le développement des compétences, ou la gestion des carrières. Il est encore difficile de créer des espaces d’expression des émotions dans une entreprise, et malgré les chief happiness officers, on voit bien que le bien-être au travail ne progresse pas.


Toute la question réside dans le fait qu’un collectif est une somme d’individus singuliers qui font le choix d’adopter les codes, le langage, la culture d’un groupe sans faire de concession sur qui ils souhaitent être : se reconnaitre membre d’un collectif impliquerait alors de vivre l’altérité comme une source de richesse, et non comme une source de désaccord.

Qu’est-ce que cela suppose ?

  • de développer une culture de l’altérité, de la tolèrance dès le plus jeune âge, 
  • De ne pas avoir peur de ce qui est différent de nous,
  • De s’autoriser à avoir des envies, des avis, des pensées « hors normes » et prendre la responsabilité d’en faire quelque chose ou non.

S’affirmer, être soi peut prendre toute une vie… Et c’est un processus difficile à toutes les étapes puisque la société moderne occidentale nous maintient dans l’idée que notre épanouissement c’est posséder le plus de choses matérielles, mais cela est une attitude passive. On ne prend plus le temps d’interroger notre rapport à l’avoir, nos envies profondes (et pas les fameux indispensables dont nous sommes abreuvés à longueur d’écran).

Je n’ai pas de solutions, ni de recettes… J’observe néanmoins le malaise croissant des travailleurs (à tous les niveaux de la hiérarchie, tous types de structure confondus), l’angoisse grandissante de la jeunesse, la violence dans les images et les paroles des médias, … et je ressens comme une urgence ou plutôt une irrépressible envie de dire : rassurons les jeunes, renouons avec ce qui nous fait du bien, même si c’est pas la tendance! Écoutons-nous, ne nous comparons pas, soyons curieux de l’autre, demandons-nous ce que l’on aime et pourquoi… cultivons cette curiosité en s’intéressant à ce qui nous semble loin de nous.


Osons être ! et voyons si cela nous aide à trouver la route vers notre être profond.

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